L’article qui suit est la retranscription de l’interview de Mélina – co-fondatrice et présidente de Toustes En Colo – lors de son passage dans l’émission « Parlons Péda ».
L’intégralité de l’émission est disponible sur le site de « Parlons Péda » – cliquez-ici pour le consulter – ainsi que sur toutes les plateformes de podcast.
Parlons Péda – Podcast du 9 avril 2021
Tu pensais assurer la sécurité affective de ton groupe ?
Perdu ! On t’explique pourquoi
[Instru d’intro]Hugo : Bienvenue sur Parlons Péda, le podcast sur le monde de la pédagogie.
Aujourd’hui, j’invite Mélina. Elle est devenue la présidente de Toustes en Colo, un organisme de séjours de vacances qui veut sortir du cadre des grands groupes et rendre les séjours beaucoup plus inclusifs. Elle fait aussi des conférences sur la question de la sécurité affective. Alors, j’en ai profité pour lui demander plusieurs trucs et astuces pour rendre les séjours plus inclusifs quand on ne sait pas comment faire. On a aussi discuté sur cette question de la liberté en séjour, de la notion aussi du laisser-faire qui souvent est liée à la liberté, et sur comment faire en sorte que justement les enfants puissent être en liberté sur un séjour sans pour autant être dans le laisser faire.
Si à la base j’ai invité Mélina, c’est tout simplement parce que ma collègue Elisa était tombée sur leur site Internet, et on avait été très intriguée par ce qu’il y avait écrit sur le site Internet, et notamment le projet éducatif qu’on trouvait particulièrement intéressant, parce qu’il était inhabituel.
Je voudrais en profiter pour vous dire qu’il y a un tout petit problème avec le son. Je m’en suis rendu compte lors de la post-production et c’est vrai qu’à l’enregistrement on ne l’entendait pas du tout. Je pense qu’il y avait quelque chose qui était proche du micro de Mélina et je ne l’entendais pas quand je l’ai interviewée. Du coup il y a par moment de petits tics. J’ai enlevé le maximum, mais il en reste quelques-uns : ne m’en tenez pas rigueur.
Sur ce, bonne écoute !
[musique d’intro]
Hugo : Bonjour Mélina, bienvenue sur le podcast Parlons Péda. Merci d’avoir accepté l’invitation. Tout d’abord, est-ce que tu pourrais te présenter ?
Mélina : Bonjour, je m’appelle Mélina. J’ai 28 ans et je suis la présidente de l’association Toustes en Colo qui est un organisme de séjours de vacances nouvellement créé, qui date de fin 2020.
Hugo : Alors avant de parler de cette association, Toustes en Colo, j’aimerais un peu parler d’une chose que tu fais en ce moment.
Apparemment tu écris un livre et tu as même fait des conférences par rapport à ça sur la notion de sécurité affective des jeunes. Est-ce que tu pourrais un peu plus m’en parler ?
Mélina : Oui. Du coup ça fait pas mal de temps maintenant que je bosse sur un projet pédagogique. A la base c’était mon ambition pédagogique qui a fait que j’ai voulu devenir directrice en accueil collectif de mineurs. Et tout est parti d’un jour où on avait organisé une boum sur le thème d’Harry Potter et où les animateurs avaient dit : « Du coup, faut que vous arriviez par deux à la boum. Un garçon, et une fille. » Et où un jeune nous a regardé et nous a dit : « C’est vachement homophobe votre point de vue. » Et on s’est dit « wow », en fait dans la vie quotidienne de l’animation, y a plein de moments où on fait des choses qui sont stigmatisantes, qui ne respectent pas la sécurité affective de chacun·e et de toustes, et en fait on a un travail énorme à faire là-dessus.
Et du coup on a progressivement cherché à corriger tout ça. Au début ça a été sur des questions de représentation, ça a été sur ce genre de sujets là.
Petit à petit, on a découvert qu’il y avait encore plein de choses, par exemple les contenus auxquels on expose les jeunes qui peuvent être des contenus avec lesquels ils sont inconfortables.
Et on a itéré un projet pédagogique sur le sujet jusqu’à obtenir une certaine expertise, progressivement, en itérant des choses dont on savait qu’elles marchaient, des choses qui avaient eu de bons retours, des choses qui au contraire fonctionnaient moins.
C’est dans ce cadre-là que je me suis mise à faire des formations en fait, pour des groupes organisateurs de colonies de vacances chez qui je bossais. Et ces formations accueillant de plus en plus de gens (en gros sur l’année 2018 par exemple, c’est vrai que sous forme de conférences j’ai formé quasiment 200 animateurs et animatrices à la gestion du public adolescent, en particulier sur la gestion de la sécurité affective et le fait de lutter contre la toxicité de manière générale), du coup j’ai commencé progressivement à écrire tous ces contenus de formation, toute cette connaissance dans un livre qui avance… le mieux possible, on va dire ça comme ça, et dans lequel je mets un peu tout ce savoir qu’on a accumulé au fil des années, puisque ça fait maintenant quasiment 10 ans qu’on bosse sur ces sujets.
Hugo : Alors j’aimerais avoir un ou deux exemples si c’est possible, justement d’outils que tu as utilisé pendant ton séjour, qui ont permis de lutter contre ces… Alors je sais pas si c’est le bon mot, discriminations ?
Mélina : Il n’y a pas que ça, la discrimination c’est un aspect mais il y a énormément de choses. Il y a des choses très courantes sur lesquelles en général on a nous-mêmes une vision proactive, qui est par exemple les situations de harcèlement. C’est une chose sur laquelle en général les animateurs et animatrices sont formé·es.
Mais ça va affecter d’autres choses, par exemple la gestion du sommeil et la mise en danger affective du fait d’une fatigue, ça par contre, je le vois… mais… quasi systématiquement en séjour quand je dirige pas. Que ce soit côté animateurices ou côté jeunes. Le fait de considérer que les jeunes ont un rythme de sommeil qui est le même pour tout le monde, ce qui n’est pas
forcément le cas… Je veux dire, un jeune qui est – exemple concret – dyspraxique, pour qui le mouvement dans l’espace va monopoliser plus de choses dans le cerveau, monopoliser plus de force, n’a pas les mêmes besoins de sommeil qu’un autre jeune. Et le fait d’uniformiser ça par exemple peut être une forme qui va créer un risque, un risque affectif. Ça veut pas dire qu’on aura une situation de danger affectif, mais on augmente le risque.
Les discriminations c’est un sujet qui est un peu plus sur le devant de la scène aujourd’hui et où on commence à avoir des réflexions. Même si j’ai vu des choses affreuses sur de nombreux séjours, l’année dernière encore. Mais du coup c’est vraiment toutes ces choses-là qu’on va essayer de prendre en compte : du cadre, de l’environnement, du rythme, de la façon dont on aménage les espaces, jusqu’aux contenus, aux outils, à la vie de tous les jours sur le séjour.
Hugo : Là du coup, je me pose la question « Qu’est-ce que c’est que la sécurité affective ? »
Mélina : Alors pour définir la sécurité affective, en général je commence par : qu’est-ce que ça n’est pas ? Qu’est-ce que la toxicité ? Et souvent ce que je fais en conférence, c’est que je fais faire un petit exercice aux gens qui est de choisir un souvenir d’un moment où ils se sont sentis exclus ou pas biens lors d’un séjour de vacances quand ils étaient jeunes ou à l’école. C’est un exercice que je ne recommande pas à des personnes ayant vécu des traumas évidemment, puisque ça peut raviver des souvenirs.
Quelles sont les sensations dans le corps qui se dégagent à partir de ça ? Et quand on met en commun en général on s’aperçoit que c’est en général les mêmes choses, c’est la boule au ventre, c’est le fait d’avoir peur, c’est le fait de vouloir éviter le dialogue… Un peu tous ces muscles qui vont se mettre en place dans le corps qui sont une situation qu’on va appeler une situation de toxicité.
Du coup la sécurité affective, c’est le fait d’essayer d’éviter aux jeunes cette situation de toxicité qui est inconfortable, et par inconfortable j’entends que pour certain·es ça va durer quelques secondes où on va se sentir mal, pour d’autres ça va aller jusqu’à une situation de risque émotionnel fort : avec des automutilations, des crises d’anxiété généralisées, des attaques de
panique, etc. On peut rentrer dans la psychiatrie très vite à partir de juste une situation… Enfin voilà, ça va de la situation de stress, qui de base est inconfortable, jusqu’à la situation de mise en danger de la vie du jeune, de l’intégrité physique du jeune du fait d’une situation à risque émotionnel. Et c’est des choses qu’on voit sur les séjours mais qui sont généralement
ignorées, les situations de danger affectif aggravé.
Hugo : Est-ce que tu peux donner un exemple d’aspect un peu… Enfin vraiment être sur un exemple précis, histoire qu’on voie comment ça se passe sur le terrain ?
Mélina : Du coup je vais opposer deux situations qui sont sur le même sujet, le sujet de la transidentité. C’est un sujet qui est d’actualité en ce moment, malheureusement, puisque ça a un peu fait les gros titres récemment.
Nous, depuis plusieurs années maintenant, ce qu’on fait c’est qu’à l’arrivée sur un séjour, un·e jeune choisit le nom par lequel iel veut être appelé·e. Alors ça peut être Waluigi. J’ai vraiment eu Waluigi pendant deux semaines sur un séjour. Ça ne me pose aucun problème moi, que la personne je l’appelle Waluigi ou Thomas, ça ne change rien. Mais ça permet aux jeunes
trans de préciser un éventuel nom par lequel iels préfère être appelé·es. Et je demande aussi, à ce moment-là, de donner un pronom. Donc c’est le moment pour justement les jeunes à qui le pronom écrit sur le listing ne convient pas de choisir le pronom par lequel iels veulent être appelé·es sur la suite du séjour.
Ça c’est une situation justement qui est sécurisante pour un·e jeune trans. Ça va me permettre à moi de mettre à jour tous les listings pour que l’éventuel deadname n’apparaisse pas, et encore une fois un deadname peut être un vrai nom… je veux dire ce n’est pas uniquement une personne trans qui va être concernée ; l’exemple de Waluigi est un exemple très concret, ça a été Waluigi, je l’ai enlevé des listings, ça a été Waluigi partout. A l’inverse sur des situations où justement c’était un besoin du fait d’une transidentité, ça permettait que ça passe dans le même lot sans qu’il y ait un besoin du ou de la jeune de venir me voir et de me dire « Eh, est-ce que tu peux utiliser tel pronom, est-ce que tu peux utiliser tel nom ? » Donc ça c’est un outil concret pour sécuriser les jeunes trans sur le séjour.
A l’inverse, sur un de mes étés, j’ai été en cohabitation avec un autre directeur qui demandait aux jeunes « Qu’est-ce que tu as entre les jambes ? Et en fonction on décidera de ta chambre. »
Ça c’est une situation où on met clairement en danger un jeune trans ; et je pense que vous êtes tous au courant de l’actualité là-dessus, on voit vraiment jusqu’où ça peut aller quand un jeune se sent stigmatisé du fait d’une transidentité.
Hugo : Alors du coup, je me suis permis de t’appeler au féminin. Est-ce que je dois le faire au féminin ou au masculin ?
Mélina : Au féminin, et de toutes façons je l’écris dans mes signatures comme ça les gens savent à l’avance.
Hugo : Si je suis directeur d’accueil collectif de mineurs, par quoi je dois passer pour m’assurer de la sécurité affective de mes jeunes ?
Mélina : Alors déjà, la sécurité affective c’est comme la sécurité physique, c’est un but. C’est-à-dire qu’il n’y a pas une to do list à respecter. En plus, c’est des sujets qui évoluent. A chaque fois on a de nouveaux sujets qui arrivent, de nouvelles situations auxquelles on avait pas pensé… Donc forcément il faut accepter qu’il y a une marge d’erreur évidemment. Le but,
c’est d’essayer d’aller au plus près d’un idéal. Donc du coup pour moi les réflexions qui sont évidentes c’est les réflexions
autour de la diversité et de l’inclusion, puisqu’aujourd’hui on a suffisamment de contenu pour réfléchir à ça.
Il y a les réflexions autour de la fatigue et du rythme. D’une manière générale on a l’impression que le rythme c’est quelque chose qui est acquis, qui est enseigné en BAFA et en BAFD, alors que dans les faits c’est une vision très normée du rythme : c’est-à-dire que c’est le rythme à peu près d’un homme valide, enfin d’un garçon valide, à cette tranche d’âge-là, dans
la moyenne. Donc en fait tous ceux qui ne sont pas dans cette moyenne on les exclue hein, de notre gestion du rythme, alors que ces personnes-là ont besoin d’un rythme adapté.
Il y a le fait de ne pas exposer les jeunes à des contenus qui les mettraient mal à l’aise. Et ça pareil on a tendance à normer, à décider que moins de 12, moins 18, moins de machin, alors que dans les faits il y a plein de contenus qui peuvent être des déclencheurs émotionnels. Un exemple concret, le Cluedo : un jeune qui est en plein divorce, le Cluedo avec les affaires
familiales ça peut être complètement compliqué pour lui ou pour elle de le gérer. Donc tout simplement annoncer avant chacun de nos contenus un peu ce qu’il y a dedans. Le fait de proposer des choix également pour les contenus, ça permet aux jeunes d’aller choisir ce qui les met à l’aise et au contraire d’éviter ce qui ne les met pas à l’aise. Donc c’est vraiment tout plein de choses, de petits outils comme ça qu’on va pouvoir mettre en place pour réfléchir justement à ce que chacun·e puisse
aller vers les contenus qui le met plus à l’aise. Donc ça c’est pour la partie contenus.
Et après il y a tout ce qui est la notion des espaces qui servent à recouper un peu les notions de diversité et d’inclusion.
Il est évident par exemple que plus le centre est grand, plus il y a de la marche tous les jours, plus on va jouer du coup sur la gestion du rythme des personnes qui peuvent avoir des difficultés de déplacement. Il va y avoir aussi une question de comment on oriente des fauteuils pour justement permettre à une personne qui est malentendante de mieux percevoir les
informations et de ne pas se sentir à la marge. Des exemples concrets comme ça de choses qu’on peut mettre en place.
Hugo : De ce que je comprends, il n’y a pas forcément d’outils précis, c’est plus qu’il faut écouter les enfants, ou… C’est là où j’aimerais bien comprendre moi. Voilà, je n’ai pas encore de notions là-dessus, quelles sont les étapes que je dois faire pour pouvoir m’accaparer d’outils qui me permettent intellectuellement de comprendre ces notions-là et aussi de les combattre ?
Mélina : Alors je dirais qu’il y a deux outils principaux moi que je fais utiliser en formation et sur mes conférences.
Le premier, c’est un outil qu’on a appelé le prisme inclusif, qu’on a présenté d’ailleurs sur la page Instagram de l’association.
L’idée en fait c’est qu’on va prendre un petit tableau. On va faire une colonne « Vie quotidienne ». En accueil collectif avec hébergement ça va être une grosse colonne, pour un accueil collectif de mineurs sans hébergement, ça va englober un peu tous les temps informels. Ensuite on va mettre « Les repas ». On va mettre « Les espaces ». On va mettre « Les
contenus ». C’est une proposition de colonnes mais vous pouvez en rajouter en fonction de votre type d’accueil.
Et sur la gauche en fait on va lister une liste de publics types auxquels on a pensé. Il y aura toujours des gens auxquels on aura pas pensé, évidemment, mais on va essayer d’en avoir le plus possible. Donc par exemple, « Malentendant·e » : et je vais décliner ce que ça veut dire d’être malentendant·e. « Jeune trans » : qu’est-ce que ça veut dire d’être jeune trans, comment ça se manifeste ?
Par exemple, malentendant·e, c’est difficulté à prendre en compte les informations qui viennent de l’environnement sonore. Donc voilà, je vais décliner comme ça tout plein de caractéristiques et tout plein de types de profil et réfléchir : qu’est-ce que je peux faire dans la vie de tous les jours pour que ce contenu, pour que cette situation elle soit propice à ces personnes-là ?
Un exemple : personne à mobilité réduite, dans ma case « Jeux », c’est de prévoir dans chaque jeu des contenus qui ne sont pas des contenus où on a besoin de courir ou de se déplacer systématiquement ; d’avoir des rôles qui permettent de ne pas faire ça. Du coup, c’est en multipliant les game play dans un même jeu qu’on va pouvoir inclure des personnes à mobilité réduite. Dans l’espace, ça va être de limiter les grandes distances dans les espaces de la vie quotidienne, d’éviter les escaliers et d’avoir des ascenseurs. Pour une personne malentendante, le fait d’avoir du mal à prendre les informations de façon sonore : bah du coup dans la vie quotidienne on va faire attention à ce que les informations de sécurité soient affichées, à ce que quand on dit quelque chose on l’accompagne systématiquement d’une note écrite, que quand on explique des règles du jeu, on a aussi des affichages qui expliquent les règles du jeu ou alors des mimes.
Et en fait du coup on va faire ce tableau et le dérouler sur le plus de choses possibles, et on va mettre ça en place. Ensuite on va faire ça sur un premier séjour et voir tout ce qu’on avait pas pris en compte. Et réitérer, et réitérer. Et à chaque fois on découvre de nouveaux profils auxquels on avait pas pensé, de nouvelles situations auxquelles on avait pas pensé.
Ceci dit, il y a énormément de choses qui se recoupent. Par exemple, le rythme, c’est vraiment quasiment systématiquement qu’il faut réfléchir à un rythme à la carte si on veut inclure le plus de gens possible. La possibilité de laisser les gens s’isoler quand ils ne vont pas bien ça revient aussi sur énormément de types de profils, et le choix, la notion de choix dans les contenus, la possibilité de quitter l’activité, ne pas imposer une activité, c’est vraiment quelque chose qui est quasiment systématique pour tous les types de profil.
Hugo : Ça c’est un outil. T’as le deuxième du coup ?
Mélina : Oui, ça c’est un outil. Et du coup le deuxième, il est un peu plus fun à faire et il parait complètement inutile, alors que dans les faits il l’est assez. En fait, c’est de lister comment être sûr·e de mettre en danger émotionnel un jeune. Genre, faire un gros brainstorming de tout ce qu’on peut faire pour être sûr·e qu’il y ait un danger émotionnel, pour que ça se
passe pas bien pour son moral, pour que ça aille mal psychologiquement pour ce jeune, de tout écrire.
Et après, une fois la rigolade passée (parce qu’en général c’est un moment un peu fun d’écrire tout ça et de se dire « Oh mon dieu y a des gens qui font ça »), eh ben en fait de voir qu’il y a des choses qui s’en dégagent et qu’on ne prend pas en compte. Typiquement, la dernière fois que je l’ai fait j’avais eu : « Pour être sûr·es que les jeunes soient bien crevés, genre on va leur mettre un plancher qui fait bien du bruit comme ça ils dorment mal la nuit. » Est-ce que t’as déjà regardé si le plancher faisait du bruit, si y avait des choses qui faisaient du bruit dans l’environnement sonore des jeunes ? Je ne sais pas, bah typiquement tu t’es créé une piste de chose à explorer pour améliorer justement la sécurité affective et morale des jeunes.
On dit de ne pas donner de surnom ; mais du coup est-ce que dans les faits sur tous vos séjours… Vous donnez des surnoms aux jeunes ou pas ? Même en off ? Parce que du coup dans votre liste là, y a plein de choses qu’en fait je vois sur les séjours, qui pose problème à personne sur le coup parce qu’on est fatigués, parce que « c’est la culture des colos », plein de choses comme ça. Mais dans les faits, y a une mise en danger sur un point qui est connu mais qu’on ne fait pas.
Hugo : Eh ben on va parler de colos justement. Tu es présidente de l’association Toutes et tous en colo… Alors je sais pas si on… Je dis comme ça, « Toutes et tous en colo » ?
Mélina : On dit « Toustes », pour inclure les personnes non-binaires.
Hugo : Ok, donc on dit « Toustes ». Quel est le but de cette association ?
Mélina : Du coup cette association, l’idée c’était que ce projet pédagogiquesur lequel on bosse depuis plusieurs années et qu’on fait pour desorganismes tiers, ces formations qu’on mène pour des organismes tiers, et ben en fait on en fasse un organisme à proprement parler, qui va pas avoirà éviter les sujets des projets éducatifs des autres pour réussir à faire le projet pédagogique qu’on veut, mais qui en fait considère commeintrinsèques ces notions-là, et pas comme un truc qu’on essaye de rajouterquitte à écarter des choses.
Exemple très concret, c’est un peu la mode des colos avec des ateliers le matin. Beaucoup d’organisateurs proposent ça. Eh bien nous ça ne va pas avec notre projet éducatif puisqu’on veut que chaque jeune en fait, peu importe son état de santé, peu importe son vécu, sa vie, etc., puisse avoir son rythme qui est respecté.
Si j’organise un atelier qui commence à 9h30 le matin, même si je le rend pas obligatoire, le jeune il va avoir envie de se lever à 9h30 tous les matins. Du coup le format atelier en fait il fonctionne pas avec nous. Donc qu’est-ce qu’on faisait, on essayait d’organiser des ateliers mais en disant que ça peut commencer à différentes heures, mais c’est des contournements. Là où en
fait, avec Toustes en Colo, qu’est-ce qu’on fait, c’est que les temps du matin sont des temps en ce qu’on appelle « sit and play », c’est-à-dire que la personne rejoint le temps à n’importe quel moment, elle est embarquée. Parce qu’en fait l’activité vient de l’espace et vient pas d’un contenu que l’animateur donne au jeune.
Hugo : C’est un peu comme les coins permanents ?
Mélina : Oui, c’est ça. Concrètement oui.
Hugo : Est-ce que tu peux justement un peu expliquer comment ça
s’organise, comment ça fonctionne ?
Mélina : Par exemple, pour notre séjour de cet été on a choisi comme – entre gros guillemets – « thématique », comme orientation thématique, on va dire ça comme ça, les « mondes imaginaires ». Donc on sait qu’on veut laisser de la place à la créativité, à l’expression créative et aussi au jeu. Du coup on va avoir une ludothèque qui est constamment là avec un ou plusieurs animateurs qui vont être détachés dans cet espace là pour justement pouvoir expliquer des jeux et embarquer dans des jeux n’importe qui à n’importe quel moment. Donc tu peux arriver à n’importe quel moment et te faire embarquer.
On aura aussi un espace où y aura de la couture, du dessin, de la peinture, avec pareil des animateurs et des animatrices qui peuvent être sollicité·es. En fait on a un savoir, les jeunes savent quel est notre savoir sur ces sujets là, mais on l’impose pas. C’est pas « je viens, là, je vais faire une heure et demie à vous expliquer comment faire un ourlet » mais plus « ah t’as envie
de faire ça, viens, si tu veux moi je sais faire ça je peux te montrer ». Et du coup les jeunes, en se levant le matin, si par exemple un jeune a besoin d’une piqure tous les jours à 9h30, ben il pourra y aller tous les jours après sa piqure sans se sentir lésé d’avoir raté le premier atelier. Et du coup, on va organiser nos matinées pour être sûr·es que ça fonctionne comme ça, pour que du coup on ait la possibilité d’intégrer n’importe quel jeune, peu importe son rythme, et que s’il a envie de faire une grasse mat’
toute la matinée, et ben c’est pas grave. Au contraire, tant mieux : il a respecté son propre rythme.
Hugo : Alors, je peux te poser un peu des questions de friction, parce que c’est souvent des questions qui se posent en équipe sur ces notions de grasse mat’, ou « d’autonomie » entre guillemets. Si justement tous les enfants peuvent faire la grasse matinée, pourquoi viennent-ils en colo ?
Mélina : Bah pour avoir des vacances. Est-ce qu’à un adulte on lui demanderait pourquoi il veut une grasse mat’ en vacances ? Au contraire on considèrerait ça comme naturel, que s’il a envie d’une grasse mat’, il prenne une grasse mat’, s’il en a pas envie, il en prenne pas. Et en fait pour les jeunes on considère que c’est normal qu’un jeune doive se lever en vacances.
Il se lève toute l’année à l’école, on lui impose un rythme validiste en plus à l’école tous les jours, tout le temps. Un adulte on se permettrait jamais de faire la même chose, mais à 16 ans, 17 ans, un ado, on considère qu’il faut qu’il se lève à une heure fixe ou au mieux avec un lever échelonné qui permet une heure de flexibilité ; qui au final a des conséquences un peu genrées, puisqu’on sait très bien que les personnes qui veulent se préparer le matin parce que la société leur dit de se préparer, bah au final se lèvent à heure fixe pour pouvoir être prêtes à temps. Sans parler justement des jeunes qui ont des problèmes médicaux, etc. A qui ce cadre ne correspond pas du tout.
Mais du coup en fait, même d’une façon générale, sans parler des personnes handis ou des personnes genrées, on considère comme normal qu’une personne de plus de 18 ans fasse ce qu’elle veut de ses vacances, mais on ne considère pas normal qu’un adolescent fasse ce qu’il veut de ses vacances.
Hugo : Je trouve que la problématique qu’il y a derrière, et c’est souvent l’enjeu, c’est comment les gens imaginent leurs propres vacances, et comment ils le projettent sur le groupe. Et souvent, il y a cette problématique où y a des personnes qui disent « Bah justement, moi quand je suis en vacances, je veux pas faire de grasse matinée, au contraire, si je suis là, je suis allé, je sais pas, spécialement dans ce pays pour en voir un maximum, donc ça me dérange que à cause de personnes qui fasse leur grasse mat’ parce qu’ils sont dans le même collectif, moi ça puisse m’empêcher d’aller visiter tel ou tel truc. »
Mélina : Justement, l’un n’empêche pas l’autre. C’est l’avantage du taux d’encadrement à 1 pour 5, même pour des ados, c’est qu’en fait l’un n’empêche pas l’autre. L’idée c’est d’avoir un endroit qui est silencieux, qui est les chambres. A tout moment de la journée on peut aller dans cet endroit-là. La règle, tacite hein, enfin on fait un point en début de séjour où c’est les jeunes qui créent leurs règles de séjour, mais c’est une règle qui n’a jamais été contestée par aucun de mes groupes de jeunes, qui est que
quand on va dans l’espace repos, là-bas c’est silencieux, c’est pour se reposer. Si on veut des espaces plus intimistes mais qui soient pas silencieux, on peut s’en créer. Le centre de toutes façons, les espaces appartiennent à toustes donc on peut les aménager.
Mais du coup, quand je me lève ça va pas empêcher qu’il y ait des activités. Il peut y avoir des départs le matin. Cet été j’étais en lever libre avec le réveil individualisé, on a fait une rando à 4h du matin pour ceux qui voulaient. Parce qu’ils voulaient voir le lever du soleil sur le lac. Et c’était super. Et en plus y en a une vingtaine qui se sont levés ce jour-là, c’était rigolo parce que le même groupe avait tendance à faire beaucoup la grasse mat’. Donc l’un n’est pas incompatible avec l’autre. C’est juste l’idée que chacun·e puisse faire ce qu’iel veut. Donc, en général, j’ai des jeunes qui, c’est vrai, sont plutôt levés pour 10h, par habitude, parce que rythme moyen d’un ado.
Par contre celui qui se lève tous les matins à 12h n’a pas de conséquences sur celui qui a l’inverse veut faire son footing à 7h. Ils peuvent cohabiter. Ce qu’il me faut juste, c’est le taux d’encadrement qui permet de proposer des activités pour ceux qui veulent et qui permet de ne pas en proposer pour ceux qui ne veulent pas.
L’aspect des ateliers autogérés comme ça permet que justement il y ait vraiment de l’activité qui se crée dans ces matins là sans problème. Après, si on veut avoir, tel jour, une activité qui est très précise et qui elle, demande à être levé à telle heure, et ben on le communique. Après évidemment on évite de les faire s’enchainer histoire de ne pas épuiser non plus l’équipe
mais on peut en avoir un tous les deux jours par exemple. Mais en fait les deux peuvent cohabiter, il y a pas d’opposition entre l’un et l’autre et ça permet justement que chaque ado puisse jauger ce qu’il ou elle préfère faire en fonction de sa fatigue, en fonction de sa vision des vacances.
Hugo : La deuxième question souvent qui revient, sur cette organisation d’un séjour qui laisse place aux choix des jeunes… (et je pense aussi d’ailleurs qu’on peut le mettre avec des enfants, là on parle des ados, mais c’est quelque chose qui peut se jouer avec des enfants), c’est le rôle de l’animateur. A quoi sert l’animateur si les enfants peuvent tout faire par eux-mêmes sans animateur ?
Mélina : Alors déjà les animateurs peuvent être des facilitateurs pour beaucoup de choses. On a un savoir-faire qui est non négligeable en terme d’organisation d’animations. Donc même un jeune qui a envie d’organiser une animation et qui me dit « ouais je veux organiser tel jeu », souvent il veut l’animateur derrière pour l’aider. Donc l’animateur est déjà là en terme de… entre guillemet pour du « tutorat » quelque part. De la facilitation dans l’organisation de l’activité du fait d’un savoir-être, d’un savoir-faire technique, en tant qu’animateur.
Ça peut être aussi pour des savoirs techniques en rapport avec l’endroit. Typiquement le lieu qu’on a choisi cet été, moi je connais très bien le coin, donc c’est vrai que je vais apporter une connaissance qui est cool là-dessus.
Peut-être que les jeunes en voudront pas hein, mais y a de grandes chances quand même que ça les intéresse quand je leur dit « tel truc à visiter, tel truc à visiter » alors que eux n’ont pas forcément fait cette recherche en amont du séjour. Donc va y avoir aussi cette possibilité d’amener du savoir. Et y a évidemment le fait d’être garant du coup de la sécurité physique, affective et morale. Nous on a les yeux pour ça. On a le regard pour ça et on fait attention à ça là où c’est vrai que dans l’énergie de la création qu’il peut y avoir chez des jeunes qui veulent organiser leur contenu, on a pas forcément une vision d’ensemble là-dessus et du coup, là, on va être « eh, attention, c’est super cool la veillée que vous voulez organiser mais faites
gaffe à ça, ça, ça, parce que nous on a un peu d’expérience là-dessus, on peut vous dire. On vous impose pas nos choix, on vous amène justement notre prisme de lecture, qui est différent du vôtre. » Après, laisser les jeunes organiser des contenus veut pas dire qu’on arrive pas avec des contenus, au contraire ça fait pas mal d’années justement que les contenus que mes équipes délivrent en général sont assez ambitieux. C’est juste en fait qu’on les amène comme des propositions. Pas comme des choses imposées.
En début de séjour, je propose aux jeunes toute la liste des choses que j’ai préparées en amont, qui sont prêtes à être mises en place sur le séjour, et c’est eux qui me disent « bah celui-là oui, celui-là non, celui-là oui, celui-là non, ah celui-là grave, obligé ». Et on va faire le planning avec eux et le réajuster au fil du temps et au fil de leurs choix.
Hugo : Du coup, est-ce qu’il est déjà arrivé que des anims… parce que tu dis ils interdisent pas les activités mais qu’ils sont quand même là pour vérifier justement que la sécurité affective soit respectée. Est-ce qu’il est déjà arrivé qu’il y ait eu des frictions à ce niveau-là, où à un moment les enfants, ou les jeunes disaient « bah ouais mais on veut quand même le faire », et donc les anims était un peu en train de se dire « bah on sait pas trop comment se positionner » ? Est-ce que tu as eu ce genre d’expériences ? Et comment ça s’est passé ?
Mélina : Hum… L’exemple le plus concret que j’ai c’était sur les choix musicaux. Où c’est vrai que des fois les choix musicaux des jeunes peuvent poser question à certains anims du fait d’une sensibilité. Exemple : les propos putophobes ou sexistes dans certains contenus audios en chanson française.
Alors déjà, bon, faut se mettre l’autocorrect qu’on a tendance à le remarquer sur les chansons françaises et un peu moins sur les chansons anglaises mais du coup ce qu’on a fait c’est que plutôt que de leur dire « hey, cette chanson arrête, enlève là elle est sexiste », on a créé le « bureau du bon goût musical ».
L’idée, c’était d’amener, avec notre subjectivité, et sur le ton du rire le fait que on considère bien évidemment nos goût comme supérieurs aux autre mais pour justement montrer le côté complètement stupide de ça. Sauf que à force de faire « le bureau des goûts musicaux valide » ou « le bureau du bon goût musical ne valide pas » pour le fun, eh ben en fait les jeunes
voulaient que le bureau valide leurs contenus et donc avaient tendance à mettre des musiques qu’on validait y compris quand on validait des trucs qui étaient complètement débiles et insupportables à écouter. Pour créer en fait du fun, de l’animation là-dessus.
Et ça a petit à petit pris la place du contenu audio sur lequel nous on était un peu moins à l’aise et sur lequel on voulait pas trop que ça devienne l’ambiance musicale globale du séjour. Ça nous a pas empêché·es en parallèle d’aller discuter avec ces jeunes-là, de faire des ateliers sur justement la musique et les représentations dans la musique. Des ateliers qui en général sont un peu autogérés par les jeunes qui vont amener leurs sujets et leur point de vue. Et c’est assez fascinant de
voir ça parce que du coup les jeunes vont eux-mêmes dire « ah cette chanson », par exemple « moi elle me choque du fait de ma sensibilité » ; et avoir un cadre serein pour justement échanger sur ces contenus là et prendre des décisions en fonction.
Hugo : J’ai vu aussi que dans votre projet éducatif, il y avait une notion de liberté. Donc tu en parlais là déjà quand je t’ai un peu fait réagir sur la question des vacances, tu sais, du fait de se lever, à quoi ça sert d’aller en colo. Du coup vous dites, y a cette notion de liberté qui est très importante,
qui est même primordiale pour pouvoir justement assurer la sécurité affective. Ma question elle est : comment construis-tu du coup le groupe, quand chacun peut faire tout le temps ce qu’il veut ?
Mélina : Déjà, bon, y a des affinités qui font que, soyons honnêtes. Les jeunes, si ils viennent en colo en général c’est parce qu’ils ont envie d’avoir un cadre social. Ils vont chercher à aller rencontrer d’autres jeunes, donc naturellement y a des sous-groupes qui se forment. Après justement, le taux d’encadrement joue énormément là-dessus. Le fait qu’on soit 1 pour 5 fait que si j’ai 4 jeunes qui veulent faire un truc, et ben en fait je peux parce que j’ai assez d’anims pour pouvoir proposer ce truc-là.
Sans parler des choses qui peuvent s’auto-organiser. C’était y a deux ans, on avait fait ce système des ateliers complètement libres. Et à la base du coup j’avais une équipe d’animateurs de 8 personnes et chaque matin j’avais 15 lieux animés. Parce qu’en fait les jeunes s’entre-animaient également, proposaient leurs contenus. Donc y a un jeune qui savait faire des épées en mousse qui avait organisé un atelier épées en mousse, un jeune qui apprenait la danse médiévale, un autre jeune qui organisait un jeu de rôle. Chacun en fait s’est créé ses espaces, et du coup on peut se permettre d’avoir un espace qui est animé pour deux personnes sans le moindre problème puisqu’il y a cette possibilité d’espace autogéré.
Un petit tips là-dessus c’est d’éviter de multiplier les espaces et d’avoir plutôt un grand espace hyper modulable. Typiquement cette année-là, pourquoi on a pu faire autant ? C’est parce qu’on avait une immense salle, avec une terrasse visible, une mezzanine, des petites salles qui étaient collées à cette salle-là.
Et du coup on avait un espace centre névralgique qui permettait la création de multi-activités à la manière d’un panoptikon. Ce qui fait que même si on avait des très jeunes (parce que c’était un séjour où on avait une grosse tranche d’âge), qui voulaient aller faire une activité, on avait pas peur pour la sécurité puisque l’anim qui était à la ludo pouvait les voir.
Hugo : Alors en gros si je comprends bien, il peut y avoir un jour où chaque jeune, fait sa propre activité. Et donc qu’il n’y ait pas un seul jeune qui est en train de se connecter avec un autre jeune ?
Mélina : Dans les faits, je l’ai jamais vu. Alors que j’ai eu des séjours allant de très peu de jeunes à énormément de jeunes. Je l’ai jamais vu. Mais par contre j’ai déjà eu des situations où y en avait deux-trois qui faisaient un truc à eux. Et… oui, ben c’est tout à fait possible et si c’est leur séjour à eux qui est comme ça y a pas de souci… enfin je vais pas forcer une
sociabilisation. Surtout à certains jeunes dont le profil fait que la sociabilisation est compliquée.
Je pense aux jeunes TSA. Je pense à un jeune TSA que j’ai eu y a deux ans qui avaient besoin au moins deux fois par jour de s’isoler une bonne heure tout seul. Eh ben c’est cool, y a pas de souci, si c’est sa façon de vivre son séjour et que justement ça le ressource, ça lui donne l’énergie de faire d’autres activités en commun à d’autres moments… Moi ça me va tout à
fait.
J’ai aussi eu la situation y a deux ans où j’avais une jeune qui parlait pas bien français, que sa mère avait inscrite sur le séjour pour apprendre à parler français. Elle a interagi avec deux personnes tout au plus sur la première semaine, parce que justement ça la sécurisait d’abord d’avoir peu d’interactions. Et en deuxième semaine, c’était l’inverse, elle était partout. Mais du coup la première semaine elle a interagi, elles étaient quasiment toujours toutes les trois. Bah c’est pas grave, au contraire, on a assez de flexibilité pour leur permettre d’avoir des activités et un séjour tout aussi riche comme ça donc moi ça pose pas de souci.
Hugo : Est-ce que c’est la fin des grands jeux ?
Mélina : Non. Et au contraire [rire], les grands jeux avec beaucoup d’effectif, la petite astuce c’est de faire à côté tous ces petits jeux qu’on oublie. Parce qu’on dit c’est la fin des grands jeux… C’est pas la fin des grands jeux mais c’est déjà la fin des petits jeux. Combien ça fait de temps que vous avez pas fait un jeu de société avec une mise en ambiance complète sur un
séjour ? Combien de temps ça fait qu’on a pas organisé, je sais pas, un draft de Magic, pour prendre l’exemple, sur un séjour ? Combien de temps ça fait qu’on a pas organisé tous ces jeux qui étaient super cools mais où y a maximum 8 à 10 joueurs pour que ça soit bien ? Bon, le Loup garou je l’aime pas spécialement donc je prendrais pas cet exemple là mais on va avoir le Sporz qui se joue à pas beaucoup de joueurs, on va avoir le Vampire qui se joue à pas beaucoup de joueurs… Tous ces jeux-là ils sont oublié parce que les grands-jeux. Alors qu’en fait on peut avoir un grand jeu, une énorme infiltration à 40 jeunes, et à côté un
Pandémie (en plus c’est thématique…) [rire] avec une grosse mise en musique, en thématique à côté.
D’un côté on a 5 jeunes, de l’autre on en a 40, et au final on a nos 45 jeunes. On a un grand jeu et on oublie pas pour autant ces petits jeux qui ont de la valeur.
Hugo : Si vous faites un Pandémie après par contre ils vont se détester les jeunes, ça c’est une autre histoire…
Mélina : [rire] C’est pas mon jeu préféré effectivement, je l’ai pris pour l’aspect thématique. Mais on en a des dizaines de jeux. Je veux dire le Sherlock Holmes par exemple il est génial. C’est un jeu qui est déjà édité en plus, y a pas besoin de réinventer la roue à chaque fois. Faire un Sherlock Holmes sur deux heures de séjour. Ou un Détective, le jeu qui a eu l’As d’or y a deux ans. C’est génial, sauf que c’est 6 joueurs. Et justement ces jeux-là ils ont leur place en séjour. Et on les oublie, parce qu’on veut toujours faire jouer 40 jeunes à la fois.
Hugo : C’est une discussion que j’avais aussi avec un adjoint sur un séjour.Est-ce qu’il est mieux de faire des grands groupes ou des petits groupes ? Et lui était sur « une colo c’est quand c’est 1 animateur avec 8 enfants. C’est pas quand il y a 5 animateurs avec 40 enfants », dans l’idée. Il était assez d’accord avec toi.
Et lui il était pas forcément sur la question de l’activité mais plus sur le fait d’être ensemble et en petit groupe pour que ça crée une forme plus d’humanité. Déjà quand on est à 8 on se connait mieux, y a une sorte de cocon qui se crée, etc. Y a quelque chose de plus agréable que quand on està 40 quand on est dans un grand groupe et qu’en fait on est moins individualisé.
Mélina : Je nuancerais ça dans le sens où moi, c’est vrai que pour le suivi des chambres par exemple, j’aime bien qu’il y ait un animateur référent. Mais je pense que c’est aussi important que les jeunes puissent se créer leurs propres sous-groupes. Dans le sens où le premier jour on n’a pas forcément les affinités qu’on a plus tard, et au-delà qu’on puisse changer de
chambre. Des fois ça passe pas avec l’anim avec lequel on a la respo de chambre.
Du coup c’est pour ça que mes assemblées d’enfants, je demande généralement que ça soit pas les mêmes anims qui viennent avec ce groupelà. Sur les temps informels j’aime bien que chaque anim aille voir un autre sous-groupe. Ça veut pas dire qu’on a un anim qui connaît 50 jeunes mais ça veut dire que 1 jeune peut voir 3, 4 anims différents pour être sûr de trouver le ou la bon·ne interlocuteurice pour son sujet ou son émotion. Avec qui ça connecte en fait.
Hugo : D’ailleurs tu parles de conseils d’enfants ou d’assemblées d’enfants. J’imagine que toutes ces activités elles partent bien de l’envie des enfants comme tu expliquais. Comment vous récupérez ces envies ?
Mélina : Alors on a un gros lot d’outils [rire]. Donc c’est parti pour les voir en revue. Déjà en général je prévois rien la première matinée parce que je fais mon temps de règles de vie, qui est un temps où les jeunes par sous-groupe vont réfléchir à des thématiques. C’est eux qui choisissent à quel thématique ils veulent réfléchir, par quel sous-groupe. Pourquoi ? Parce que je veux pas exposer par exemple des jeunes qui seraient pas à l’aise avec le sujet sexualité à ce sujet-là s’ils veulent pas
réfléchir dessus. A l’inverse je sais très bien qu’il y en aura 20 au moins qui seront intéressés par ce sujet-là.
Et ensuite dans un deuxième temps, généralement sur la deuxième partie de matinée ou sur l’après-midi du premier jour, on va nous, en tant qu’anims, préparer un espèce de forum et leur dire : « Moi j’ai préparé tout ça pour le séjour ».
De là les jeunes vont nous dire « Ouais ça j’ai grave envie ». Et nous en fait on va noter avec des petites croix un retour global sur nos contenus. On va s’apercevoir que y a des contenus qui clairement, wow, faut qu’on les propose. A l’inverse, certains, y a 1 jeune qui le veut. C’est cool, on va essayer de le proposer mais si c’est un jeu qui fonctionne pas à moins de 8
on va lui expliquer que ça va être compliqué. Du coup des fois il va essayer d’en motiver 7 autres c’est rigolo.
Du coup, là c’est un premier outil qui va nous permettre de faire un préplanning. Ensuite sur place, on a la boîte à idées, où les jeunes peuvent nous faire encore des retours (et la boîte aussi c’est une boîte à expression, donc ils peuvent aussi nous faire des retours organisationnels dans cette boîte), qui va nous permettre justement de rajouter des contenus. On rajoute à ça, du coup, les assemblées d’enfants (qui est un sujet à part entière puisque j’ai une façon très à moi de faire les assemblées d’enfants), qui vont nous faire encore des retours un peu plus au fil du temps. Ensuite moi je fais toujours une évaluation de séjour à mi-séjour et une évaluation de séjour en fin de séjour, qui sont anonymes, et qui sont des retours des jeunes sur le séjour, et qui peuvent aussi permettre de rectifier un tir qui aurait été mal géré jusque-là. J’aime bien le faire à un tiers du séjour, le premier. Comme ça, ça permet vraiment que les jeunes commencent à s’habituer et qu’on commence à avoir un peu des retours. Et enfin, j’ai un outil qui s’appelle la JAM. Je l’ai repris complètement du milieu du jeu vidéo. L’idée c’est qu’en fait y a une journée dans l’emploi du temps en général… cette journée qui est juste avant la courbe de séjour où de toutes façons
t’arriveras pas à gérer les jeunes parce qu’ils commencent à être fatigués en terme de courbe d’intensité. Bah cette journée-là, plutôt que d’imposer un contenu où tu sais que ça va mal se passer avec les jeunes, tu fais la JAM. La JAM, c’est une journée qui est vide ou en fait les jeunes font ce qu’ils veulent en terme de « créer un projet ». Ça va être pour certains… Bon y en
a qui vont décrocher qui vont jouer à des jeux de société toute la journée, y a pas de souci, encore une fois on a nos espaces auto-animés. Par contre c’est sur ce moment-là que beaucoup de jeunes vont créer leurs propres jeux qu’ils veulent organiser sur le séjour, c’est sur ce moment-là que beaucoup de jeunes vont avancer sur un projet artistique s’ils en ont un parce qu’ils sont venus à la colo en sachant qu’il y avait tel matériel qui était là.
C’est le moment aussi où on peut complètement improviser des espaces de petits ateliers informels, d’échange avec certains animateurices sur des points qu’on a pas eu le temps de mettre dans le séjour mais que les jeunes veulent quand même avoir des retours et des temps consacrés. Et du coup cette journée un peu de vide elle permet généralement aux jeunes de créer beaucoup de contenu qu’on va pouvoir mettre sur le planning en deuxième partie de séjour : il nous reste les deux tiers du séjour pour placer tous ces contenus qu’ils ont eu l’idée d’organiser. Et ça permet que les contenus soient pas juste une idée qui s’envole. On le fait tout de suite, on prévoit une journée pour, et en terme de gestion de projet c’est aussi plus satisfaisant et plus facile de fermer un projet sur une journée qu’un projet qui s’étale.
Donc ça c’est tous les outils. Et du coup l’assemblée d’enfants, pour revenir dessus, moi c’est quotidien ; et même y a plusieurs formes d’assemblées. Il y a l’assemblée de chambre qui n’est pas mise sur un planning : je demande à chaque animateur, à chaque animatrice, de prendre la température de sa chambre systématiquement tous les jours. Et on a le temps qui selon la tranche d’âge va être du « goûter comité » ou de « l’apéro comité ». En fonction de la tranche d’âge et du public, une appellation marche mieux que l’autre. Où on va justement se retrouver avec des petits groupes de jeunes pour essayer d’avoir un peu les retours de chacun et de chacune sur le contenu du séjour, avec du coup la grande dimension que tout le monde ne fait pas de retour de façon verbale et que du coup il est très important de prendre en compte la parole de chacun·e y compris d’un jeune qui ne parle pas. Et c’est pour ça qu’en fait j’ai tout un lot de petites méthodes, de petits jeux qu’on va changer tous les jours pour arriver justement à ce qu’au moins 1 fois tous les 3 jours chacun ait trouvé un moyen de se faire entendre, parce que tel type d’outil me parle plus que tel autre, que tel autre, que tel autre.
Hugo : Est-ce que tous les outils fonctionnent ? Je te dis ça parce que la boîte à idées par exemple, je l’appelle comme ça moi, à chaque fois que je l’ai posée j’ai jamais vraiment eu de retour, enfin tu vois j’ai jamais eu vraiment de mot à l’intérieur qui me disait « ah ce serait cool d’avoir ça ». J’ai jamais vu le fonctionnement. Est-ce que toi ça fonctionne ? Est-ce que de façon plus générale il y a des outils qui sont les meilleurs et d’autres qui sont un peu plus bancals et où y a encore des réflexions à avoir par rapport à ça ?
Mélina : La boîte à idées comme l’assemblée, pour moi, ne fonctionnent pas dès le moment où on ne fait pas de retour aux jeunes sur ce qui est pris en compte de ces outils-là. C’est-à-dire que si les jeunes me mettent un truc dans la boîte à idée mais qu’on leur dit jamais ce que sont devenues leurs idées les premiers jours, et bien ça ne marche pas.
Alors que du coup si on dit qu’on traite le lendemain toutes les choses qu’il y avait dans la boîte à idées la veille, ça laisse en plus la nuit aux anims pour les relire si ils veulent et faire un peu le tri s’il y avait des choses un peu border, et ben là les jeunes ils vont voir qu’il y a un pouvoir sur la boîte à idées.
D’ailleurs les anims peuvent aussi utiliser la boîte à idées. Genre « moi en tant qu’anim j’ai envie de faire ça », « j’ai trop envie d’organiser un Terraforming Mars qui est un jeu de 2h, j’ai trop envie d’y jouer pendant le séjour ». Bah je peux le mettre dans la boîte à idées et du coup ça permet un peu de dévérouiller ça. Et pareil pour l’assemblée : si les jeunes font remonter des choses en assemblée et qu’au final c’est des sujets qui ne sont pas traités, ben ça n’avance pas.
C’est aussi la capacité de faire des retours sur ces outils qui font que ces outils vont être plus ou moins utilisés. Après je sais que l’évaluation anonyme de mi séjour c’est un des trucs qui me rapporte le plus de contenu et les assemblées sont les choses qui me rapportent le plus de contenu. A l’inverse, toutes mes réunions sont ouvertes à tous les jeunes et c’est généralement pas avant la mi séjour que j’ai un jeune qui vient en réunion. Évidemment que certains vont avoir plus d’impact sur le groupe que d’autres, ceci dit, le petit outil de niche qui va permettre à deux jeunes de s’exprimer mieux qu’à l’assemblée bah il doit exister, parce que justement ces jeunes-là ont le droit d’avoir une voix au même titre que les 40 autres qui les utilisent tous.
Hugo : Est-ce que vous intégrez les familles aussi aux séjours ? Comment ça se passe ? Parce que c’est quand même un type de séjour qui est différent du classique, activités etc., comme tu le disais au début. Et donc il peut y avoir un peu une peur d’exprimer ça aux familles, aux parents, même si on sait très bien que ça se passe avec les enfants. Cette peur elle peut être présente. Quels outils, quelle méthode vous utilisez pour justement passer outre cette peur ?
Mélina : J’ai jamais eu l’occasion de les intégrer à proprement parler. Par contre le projet éducatif, même quand je travaillais pour d’autres organismes, était clairement écrit sur le blog à l’époque, et il leur expliquait en gros notre vision des choses.
Parce que je pense qu’un parent à qui je dis « tous les matins je me levais à l’heure que je voulais », malheureusement, avec la vision un peu aujourd’hui des vacances, c’est pas forcément facile à prendre en compte. Alors qu’à l’inverse quand c’est expliqué, le point de vue pédagogique qu’il y a derrière, beaucoup de parents sont très très très contents de ce contenu.
Et après moi c’est vrai que si un parent m’appelle… Eh bien je donne mon numéro aux parents et on peut parler pendant super longtemps si ils veulent du contenu. Les parents pour moi sont des vrais alliés. Certaines fois, certains jeunes
vont vraiment avoir le parent comme ancre et ne vont jamais mettre une ancre dans le séjour parce que ça arrive, parce que le jeune. Ben que ce parent puisse me transmettre une information, par exemple « mon jeune ne s’entend pas avec quelqu’un de sa chambre », ben c’est génial, moi je suis très contente d’avoir cette info. Parce que du coup je vais pouvoir faire des
choses. Et j’ai pas eu l’info. Parce qu’on est pas parfaits. Et du coup le parent là-dessus, vraiment je les incite à ne pas hésiter à m’appeler, à ne pas hésiter à m’écrire, ils ont mon mail, ils ont mon numéro, pour qu’on puisse mettre des choses en place comme ça. Quand je peux les rencontrer lors du convoi ou le jour où ils arrivent sur le centre c’est génial mais ça c’est pas toujours le cas, ça dépend, c’est très situationnel.
Hugo : On arrive vers la fin de cet entretien. Est-ce que tu as un livre à suggérer, à proposer ?
Mélina : Oulah. [rire] Je lève les yeux vers mon énorme bibliothèque et je me demande lequel je pourrais citer. Je dirais que le premier livre qui m’a fait réfléchir en terme de pédagogie ça a été Graine de crapule de Deligny. Parce que c’est un de ceux qui… C’est que des petites phrases et on peut y réfléchir très très longtemps sur chacune de ces petites phrases. Ça a déverrouillé pas mal de remise en question de ce qu’on faisait en séjour de mon côté. Après moi, j’aime beaucoup les écrits de Paulo Freire, mais c’est moins accessible du fait que c’est très peu traduit en France.
Hugo : Graine de crapules, je vais pas te mentir, je crois que tu es la troisième personne à me proposer Graine de crapules, donc c’est un peu le, tu vois, le classique. Est-ce que du coup tu pourrais en proposer un de Paulo Freire qui t’a particulièrement intéressée ?
Mélina : Paulo Freire en langue française y en a qu’un seul, c’est Pédagogie de l’autonomie, malheureusement. Du coup je recommanderais sa lecture. Et après y a l’écrivaine bell hooks qui aujourd’hui a repris beaucoup des écrits de Paulo Freire et qui, elle, est plus traduite puisqu’elle a notamment été sollicitée par beaucoup de féministes. Mais c’est les mêmes
bases. C’est les mêmes principe que la pédagogie de Paulo Freire qu’on retrouve dans la pédagogie de bell hooks. Donc si jamais Pédagogie de l’autonomie plait et qu’on veut aller plus loin dans ces contenus-là, les écrits de bell hooks sont supers.
Hugo : Où peut-on te retrouver si on veut en savoir plus ?
Mélina : Du coup, sur le site Internet de l’association. On est pas beaucoup derrière donc j’ai mis tous les mails ; on peut utiliser le formulaire de contact là-dessus, qui est disponible sur le site sans soucis.
Hugo : Merci beaucoup.
Mélina : Merci.
Hugo : Merci d’avoir écouté ce podcast. Vous pouvez retrouver Mélina sur Toustes en Colo. Si vous avez aimé l’épisode bien évidemment vous pouvez le partager et mettre un avis 5 étoiles sur iTunes Podcast. Allez, je vous dit à dans deux semaines.
[Instru d’outro]