Autour du jeu de société, par Thibaut, co-fondateur de l’association
Cet article n’est pas un article de fond sur la pédagogie mais un billet d’humeur, une réflexion plus personnelle, plus légère, sur l’évolution du jeu de société et de nos rapports à celui-ci.
Le jeu de société, comme toute pratique culturelle, s’est transformé, et sa façon de le pratiquer avec lui. Nous jouons toustes. N’en déplaisent a celleux qui disent le contraire mais jouent malgré tout à Candy Crush ou remplissent les mots fléchés ou sudoku à l’arrière du journal pour tuer les temps long du métro : nous jouons toustes.
La question que je me pose ici (et qui restera sans réponse – C’est important pour garder un petit côté philo) est la suivante. Entre Majhong et Eclipse il y a 6 siècles. Pourquoi continuons-nous à jouer ? Pourquoi modifions-nous les jeux ? (oui, je sais qu’il y a des jeux plus vieux que le Majhong. Mon choix est parfaitement arbitraire)
Le jeu de société, un objet familial
J’ai commencé à jouer aux jeux société dans le milieu des années 2000, en plein essor du jeu de société contemporain.
J’étais entouré de jeux comme Cyclades, SmallWorld, Endeavor, Agricola… Certains sont tombés dans l’oubli, d’autres sont devenus de grandes références et ont remplacé certains standards.
En 2005 le site tric trac référençait de mémoire environ 300 sorties par an. Un véritable boom culturel était en train d’advenir. Aujourd’hui, trictrac recense plus de 16000 références.
Trouver une pépite ludique est quelque chose de complexe. Nager au milieu des campagnes de publicité, des kickstarter et des illustrations parfois trompeuses est compliqué.
On pourrait imaginer que les core-gamereuses, que les joueureuses de Puerto Rico ou de Tigre et Euphrate, de Diplomacy, de Caylus ont réussi à évangéliser le monde entier de « leur sage parole ludique ». On pourrait imaginer que les joueureuses d’aujourd’hui ont toustes été converti·es par Catane dans les années 2000 et jouent aujourd’hui à Archipelago. Les chiffres pourraient traduire un phénomène de massification du « gros jeu ». Pourtant non : Il n’en n’est rien.
Quand on regarde les ventes de jeu, on tombe sur des Loups Garou de Thiercelieu, du Jungle Speed. A l’heure ou j’écris ces lignes, les meilleures ventes du commerce de jeux leader en France sont celles de The Crew, Top Ten ou Code Name, Unlock, Azul. Il n’y a pas de grand dénominateur commun entre ces jeux si ce n’est qu’ils ne demandent pas d’investissement majeur de temps ou de lecture de règles.
Si je demande à mon diabolique moteur de recherche: « Quels sont les jeux de société les plus joués ? » Je peux aisément présupposer de la réponse : Monopoly, Uno, ou peut être le poker. Et bien non ! Dixit, Saboteur, Uno, Les Aventuriers du Rail et Azul sont les premières réponses. Dans cet ordre. Un reflet assez consensuel mais néanmoins intéressant, de notre époque.
Cette liste n’est pas à considérer comme une véritable étude sociologique des comportements dans le jeu; Mais elle donne à réfléchir sur l’évolution des pratiques que l’on peut observer, et à se questionner en conséquence.
La défaite des core-gameureuses
Il me semble que la caste des gros·se joueureuse, (à savoir celleux qui ne jouent pas pour le plaisir, mais plutôt pour pousser des cubes en bois rose et pour élire le ou la meilleure comptable de la table.) a perdu. (Promis j’arrête les parenthèses aussi longues.) La majorité des tables de jeux sont remplies par des Imagine, des Code Name, des Time Bomb ou peut-être quelques Mascarades. En d’autres termes : les mœurs quant au jeu n’ont jamais radicalement changées dans leurs approches.
Bien sûr, il existe une lente transformation sociale en cours. Bien sûr qu’il y a plus de joueureuse de Magic, de D&D ou de n’importe quel jeux (non, pas de netrunner, snif) qu’avant. Bien sûr qu’à la vue des ventes, le jeu a le vent en poupe, que le marché est en expansion. Cependant – et ce n’est que mon avis, – je pense que la pratique du jeu n’a pas fondamentalement changée.
On joue pour des raisons similaire, avec des contrainte similaire. La tranche de population concernée (de part son temps libre et son capital financier et culturel) s’est cependant considérablement élargie. Je pense que nous assistons à une massification du loisir, mais pas à une véritable révolution.
Le jeu de société change.
L’investissement dans un jeu reste le facteur limitant principal. Le jeu reste une chose familiale, ou pratiquée entre ami·es sur une plage de temps restreinte.
On ne joue globalement pas avec des inconnu·es. On ne joue globalement pas de parties de 9h. On n’apprend globalement pas des règles de 130 pages.
On pourrait croire qu’en tant que joueur de jeux à l’allemande, je le déplore, tel un réactionnaire ludique, ou gardien du temple du jeu. Que je pense c’est une triste chose que les gens ne s’adonnent pas plus à de passionnantes parties de Terraforming Mars ou Terra Mystica. Et bien non !
Je pense que – comme en littérature ou en cinéma – chaque public a ses codes, ses envies, ses satisfactions. Je suis donc ravi de voir que Dixit est le premier jeu qui sort de ma recherche Google. Le Monopoly est mort, vive Dixit. Je ne suis pas un grand fan de celui-ci, mais je reconnais volontiers que sa mécanique est fluide et efficace. Le jeu est très bon. Qu’un jeu comme celui-ci se démocratise autant et écrase des vieilleries comme La Bonne Paye me satisfait grandement.
Mais si on assiste à un remplacement des jeux de société familiaux anciens par des plus récents, il doit exister une raison. Même si je pense qu’il existe un effet d’obsolescence programmée par l’abondance continue de nouveautés, je pense qu’il y a une explication rationnelle pour expliquer l’abandon des Nains Jaune, au profit de Concepts.
De bons jeux de société.
On pourrait penser que l’unique raison pour laquelle nous jouons toujours au dernier jeux sorti n’est que le résultat obsolescence programmée, et du dangereux lobby ludique, mais je ne crois pas.
Il est vrai qu’une intéressante réflexion concernant l’aspect écologique de notre pratique (encres, plastiques, transport des marchandises) pourrait être menée. Cependant je pense pas que ces questions soient la seule et la plus intéressante des réponses à la question « pourquoi modifions nous nos jeux ». Pour comprendre pourquoi on jouait hier a ces jeux ,et aujourd’hui a ceux là, il faut s’interroger sur pourquoi l’on joue.
La liste est bien évidemment non exhaustive, mais – généralement – on joue pour le plaisir. Un plaisir aux racines multiples : on peut apprécier l’univers déployé, le temps passé avec des ami·es, les blagues de l’auteurices, les stratégies, le réalisme d’une simulation, pouvoir jouer rapidement sans expliquer de règles, le bluff, pour apprendre des choses, pour le goût de la compétition ou au contraire celui de l’équipe et de l’entraide, pour réfléchir ou ne pas réfléchir..
Si on ne peut pas quantifier le plaisir fourni par un jeu, on peut cependant noter relativement objectivement que les jeux contemporains répondent à chacune des demandes faites plus haut, plus efficacement qu’il y a 30 ans. La communauté des auteurices de jeux fonctionne comme une petite communauté scientifique. Le monde du jeu a avancé par à-coups, comme la recherche. Les créations des un·es ont influencées le travail des autres, et, lentement, nos modes de jeux ont avancé.
Comme au cinéma, au théâtre ou en littérature, parfois des idées radicalement neuves fleurissent. Mais, bien souvent, l’objet est inspiré d’un autre jeu, lui-même inspiré d’un autre, etc. Les influences artistiques font partie intégrante du travail de création des auteurices. Sporz, résistance ou Avalon sont inspirés de Loups garou, qui lui même s’inspire d’un jeu du milieu du XXeme siecle, Mafia. Etc
C’est à ce rythme que le jeu avance. Une part des vieux deviennent complètement dépassés parce que telle mécanique ou tel univers à été mieux développé dans tel nouveau jeu. Mais, comme au cinéma, revenir au source d’un concept (pas le jeu), peut être passionnant. Ce n’est pas pour rien qu’on voit apparaître des « remake » de Dune ou Méditerranée. C’est aussi pour ces raisons qu’on voit flamber les prix de vieux jeux jamais réédités. Je ne crois pas (peut être trop naïf) que le principal moteur de cette recherche soit le profit des éditeurs. Le marché grossissant, il est probable que certain·es y voient de potentiels profits juteux. Mais force est de constater que foisonne encore dans les salons des myriades de créateurices qui cherchent à être édité·es. Toustes travaillent d’abord dans l’ombre pour faire avancer tout un pan culturel.
Conclusion
Ils est évident que je n’ai répondu que très partiellement à mes propres interrogations. Il n’y a ici que deux embryons subjectifs de réponses. De manière synthétique, je concluerais ainsi : Nous jouons encore et toujours pour la diversité des émotions ressenties et parce que l’évolution des jeux nous le permet toujours plus largement.
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