Pourquoi les équipes d’animation sont sexistes ? Comment lutter contre les discriminations dans les équipes pédagogiques ? Le contenu de cet article est en grande partie basé sur les travaux de Marion Perrin. Un post à ce sujet est également publié sur le compte instagram de l’association. Evidemment, toutes les situations décrites ici ne sont pas systématiques et valables dans tous les cadres et tous les séjours : il s’agit d’une proposition de grille de lecture pour comprendre les enjeux de la reproduction de l’hétéronormativité dans les accueils.
Les équipes d'animation sont sexistes : Quelques définitions
Les termes d’homophobie, biphobie, etc ne font pas l’unanimité. Par exemple, Gaël Pasquier souligne que “l’utilisation du suffixe “phobie” semble poser une explication psychologique au fonctionnement d’un système social dont il s’agit au contraire de déconstruire le sous-bassement historique et idéologique”
L’hétéronormativité est la présomption que l’hétérosexualité est la norme valide et que donc les personnes ne respectant pas cette norme (personnes non hétérosexuelles, personnes trans, personnes non conformes aux stéréotypes de genre) sont inférieures.
Marie-Aimée Lebreton propose d’utiliser le concept d’hétérosexisme, qui est “plus apte à rendre compte de l’idéologie inscrite dans les institutions, les pratiques sociales et les interractions quotidiennes, idéologie qui est systématiquement l’hétérosexualité et la présomption de la normativité hétérosexuelle”.
“L’hétérosexisme peut se définir comme l’ensemble des discours et des pratiques, individuels ou institutionnelles, construisants une hiérarchie des sexualités qui situe l’hétérosexualité comme la norme la plus acceptable socialement, en comparaison de laquelle toutes les autres pratiques sexuelles et conjugales sont disqualifiées ou dévalorisées. Ainsi, l’hétérosexisme engendre des inégalités et une asymétrie sociale entre les couples homosexuels (et les familles qu’il créent) et les couples hétérosexuels, les premiers ne bénéficiant pas de la même reconnaissance sociale ni des mêmes privilèges, économiques et autres, découlant de leur statut conjugal. La présemption hérérosexuelle joue constamment en défaveur des couples et parents de même sexe donc l’existence n’est souvent ni reconnue ni acceptée.”
Si l’hétéronormativité dicte les conduites et les normes à suivre en matière de normes à suivre en matière de sexes, genre et d’orientation sexuelle. L‘hétérosexisme est le système qui assure le maintien de ces normes – par l’exclusion sociale, la discrimination ou l’invisibilisation des individus dérogeant à celles-ci.
Les équipes d'animation sont sexistes : Le Cas particulier des colos
Les colos sont un espace temps particulier : des endroits où “des jeunes et des adultes qui ne se connaissent pas cohabitent dans un cadre qui n’a rien à voir avec le cadre habituel”*. Si beaucoup réfléchissent aujourd’hui ces lieux comme vecteurs de qualités individuelles (activité, apprentissage, autonomie, etc…), ces lieux sont également des lieux importants de socialisation.
C’est pourquoi Marion Perrin pose la question de ce que la colo peut faire pour changer le système hétérosexiste, mais aussi comment elles peuvent participer à le renforcer.
Pourquoi les équipes d'animation sont sexistes : le recrutement
Souvent, les équipes pédagogiques sont recrutées avec un objectif de “parité parfaite des sexes” : l’idéal serait de recruter 50% d’hommes et 50% de femmes. Quand ce n’est pas possible, il est souvent suggéré d’avoir au mons un homme dans l’équipe pour “garantir l’autorité ou la protection”.
Ces approches sont essentialisantes : elles participent à une naturalisation des sexes qui voudrait que les hommes soient plus à même d’effectuer certaines tâches et les femmes d’autres. Elles sont notamment sources de discriminations sexistes, homophobes et transphobes.
Pourquoi les équipes d'animation sont sexistes : la culture
Souvent, les équipes ne se connaissent pas et peuvent venir de milieux socioéconomiques très différents. Une fois formées, elles doivent se souder en un temps court. Les accueils ont une temporalité qui leur est propre et il n’est pas simple de trouver des “buts communs et un sens partagé*. La co-écriture du projet pédagogique devrait remplir ce rôle, mais ce n’est généralement pas le cas.*
De plus en plus d’organisme imposent la forme du projet pédagogique, ou des rendus à des dates qui ne permettent pas une co-construction de celui-ci par les équipes pédagogiques : dans ces cas là, le projet pédagogique est alors rédigé unilatéralement par les équipes de direction.
Au final, Marion Perrin observe que c’est souvent (et insconsciemment) le genre qui sera utilisé comme liant affinitaire “notamment par le maniement de blagues homophobes et sexistes”*. L’humour, les blagues autour de la sexualité et/ou les discussions et jeux autour de la sexualité ou des rapports de séduction (‘je n’ai jamais”, “avis de tempête”, “privacy”, etc…) servent d’accélérateur à la création de liens. Participer à cette ambiance est nécessaire pour “faire partie de l’équipe et gagner sa légitimité d’animateur”*
Le besoin de se créer une culture propre en peu de temps incite à reproduire – voir à amplifier – celle de la société; et donc l’hétéronormativité qui la traverse.
D’autres pédagogues soulignent aussi l’homogénéité de recrutement propre à certains organismes, qui amènent d’autres biais : quand un certain niveau scientifique est demandé aux équipes, par exemple, les milieux socio-économiques sont plus homogènes avec une surreprésentation d’hommes blancs poursuivant des études supérieures dans ce domaine. Le groupe ainsi formé partage alors une culture commune qui est le reflet de la culture de ce groupe social particulier – par exemple, la reproduction des codes propres aux grandes écoles ou à certaines facultés. La culture de l’équipe pédagogique prolonge alors celle du milieu sociologique en question.
Pourquoi les équipes d'animation sont sexistes : la répartition des tâches
Sur le terrain, on observe une division genrée des tâches. En effet, ce sont bien souvent les hommes cisgenres qui emmènent le groupe vers les animations, et les minorités de genre qui prennent à leur charge les actions invisibles (nettoyage des pinceaux, écoute, gestion des traitements, etc).
Les hommes cisgenres sont également plus passifs face aux situations nécessitant du “care”. Par exemple, Marion Perrin* explique que ceux-ci n’auront que peu ou pas tendance à se lever et quitter une réunion pour consoler une enfant qui vient de vomir.
Parfois, cette répartition est faussement justifiée par une incompétence : les animateurs déplacent les tables “parce que c’est lourd”, les animatrices s’occupent des chambres de filles “parce qu’elles savent coiffer”.
La valorisation de certaines tâches au détriment d’autres renforce ces inégalités. On note que beaucoup d’organismes proposent des primes aux meilleurs blogs ou aux anims qui savent construire de grandes activités tandis que la tâche toute aussi importante d’assistant·e sanitaire, de responsable de chambre ou même d’entretien des locaux est invisibilisée.
Non seulement la répartition des tâches est genrée, mais en plus, la gratification financière et symbolique de celles-ci se fait au détriment des minorités de genre dont le travail est moins valorisé et moins rémunéré.
Que faire pour éviter l'hétérosexisme dans les équipes pédagogiques ?
Se poser la question de ce que les accueils font pour renforcer l’hétérosexisme permet de réfléchir à ce qu’ils peuvent faire pour lutter contre celui-ci. Les acceuils sont un lieu de rencontre hors du temps, qui permettent des rencontres qui n’auraient pas lieu ailleurs. Ils laissent le temps à l’espace et au dialogue, à la découverte de communs dans la variété même des vécus individuels. Ils peuvent être des lieux propices à la conscientisation et à la recherche d’idéaux partagés. ce sont aussi des espaces propices à la création de nouvelles représentations.
Pour cela, il est important de remettre l’engagement éducatif et militant au coeur de la pratique d’animation, de réfléchir nos projets éducatifs et pédagogiques armé·es des lunettes de la lutte contre les discriminations. Il faut examiner ses propres biais et ses pratiques, en bref : politiser !
Il nous sera alors possible de réfléchir aux vacances comme un lieu d’émancipation individuelle et collective.
Pour aller plus loin...
A propos du Care
La politologue et féministe Joan Tronto est la principale fondatrice de l’approche contemporaine – sociale et systémique – du “care”. Elle affirme que les femmes, les personnes racisées et les classes défavorisées ont bien souvent à leur charge les métiers du care et les tâches relatives au prendre soin. Cette répartition est le résultat de forts conditionnements sociétaux qui font passer ces tâches difficiles comme le simple prolongement du travail domestique – longtemps effectué gratuitement par ces mêmes tranches de la population. Ce travail n’est que peu ou pas rémunéré alors qu’il représente 33% du PIB français (INSEE 2010).
En fondant Toustes En Colo, nous avons souhaité remettre le care au centre de nos pratiques, en considérant que le prendre soin mérite formations, réflexions, remises en question et valorisations. C’est pour nous un acte important de lutte contre les discriminations sexistes, classistes et racistes en accueil collectif de mineur·es.
Les travaux de Marion Perrin
Ce texte se base principalement sur une publication de Marion Perrin nommée “Les Colos, une école de l’hétérosexualité ?”. Nous vous recommandons vivement de lire ce texte.
Cliquez-ici pour lire “Les Colos, une école de l’hétérosexualité”.
Pour les personnes préférant le format vidéo, elle présente ici quelques point importants de son champ d’étude :
Ouvertures
Les travaux de Marion Perrin ont aussi participé aux réflexions de Jean-Michel Bocquet autour du MeTooAnimation Cliquez-ici pour lire son article au sujet des Violences Sexistes et Sexuelles en colo.
L’association Plan B réfléchit également au rôle des colos dans la lutte contre les discriminations. Cliquez-ici pour en savoir plus sur la fabrique du consentement en colo.
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