Faut-il emmener son téléphone portable en colo ?

Court métrage filmé au smartphone

Faut-il emmener son téléphone portable en colonie de vacances ? Aujourd’hui, la grande majorité des jeunes en France possède un smartphone, devenu leur principal moyen de connexion numérique, même lorsqu’ils participent à des colonies de vacances.

Cette situation soulève des questions parmi les organisateurs, les équipes d’animation, les parents et les jeunes elleux-mêmes. Une enquête coordonnée par l’INJEP en 2020 explore ce sujet. Lecture guidée.

Contexte de l'étude

Dans les colonies de vacances étudiées lors de cette enquête, les téléphones portables ne sont pas interdits, mais leur usage est encadré, notamment par des temps d’utilisation limités, ce qui peut générer des tensions entre jeunes et animateurs. Les équipes organisent souvent la collecte et la restitution des téléphones à des moments précis, ce qui n’est pas toujours bien accepté, ni par les jeunes qui se sentent privés de leur bien, ni par certains animateurs qui trouvent cette gestion contraignante. Ces règles, discutées en début de séjour, visent à protéger le sommeil, l’intimité et la participation aux activités, mais sont parfois perçues par les jeunes comme trop proches des contraintes scolaires.

Photos sur un téléphone portable

Le téléphone portable : un outil qui bouscule les habitudes

Le téléphone portable remet en cause la position de l'adulte

Les colonies de vacances restent centrées sur les activités proposées par les anims, mais l’arrivée des smartphones a modifié les usages : les jeunes viennent avec leurs téléphones, gardent le lien avec leurs proches et apportent leurs propres sources de distraction. Face à cela, les équipes adoptent deux grandes approches : une gestion stricte, fondée sur la méfiance et le contrôle du temps d’écran, et une gestion plus souple, fondée sur la confiance et l’accompagnement des usages. L’âge des participant·es joue aussi un rôle important : les plus jeunes voient leur accès au téléphone plus souvent limité, ce qui renforce l’idée que le smartphone est un symbole d’autonomie.

Le téléphone portable crée des espaces en dehors des regards

Le téléphone en colonie de vacances ne se résume pas à sa simple régulation : il transforme aussi les formes de sociabilité entre jeunes et avec les anims. Dans de nombreux séjours, des groupes de discussion sont créés sur des messageries instantanées (WhatsApp, Messenger), réunissant parfois anims et jeunes, mais aussi des groupes « entre jeunes » échappant au regard des adultes. Ces espaces numériques permettent de renforcer les liens du groupe, d’échanger blagues, musiques et souvenirs, et de prolonger les relations après le séjour en partageant photos et vidéos.

Cependant, ces groupes ne sont pas sans risques : ils peuvent aussi devenir le théâtre de moqueries, d’insultes ou de harcèlement, moins visibles pour les équipes que les tensions en présentiel. Par ailleurs, les jeunes publient sur leurs réseaux sociaux (Instagram, TikTok, Snapchat…) des images, stories ou commentaires à destination de leurs amis·e, familles ou abonné·es, donnant à voir une version publique de leur expérience en colo. Face à cela, les anims doivent rester vigilants pour limiter la diffusion de contenus susceptibles de nuire à certain·es jeunes ou au bon déroulement du séjour.

animatrice sur son téléphone portable en colonie de vacances

Le téléphone portable change la relation aux familles

Le lien entre les jeunes et leurs parents reste un aspect important de la colonie de vacances, et l’usage du téléphone portable modifie profondément cette relation. En plus des lettres ou des appels prévus par l’équipe, les jeunes peuvent désormais envoyer des messages ou appeler à tout moment, ce qui peut parfois entraîner des malentendus – par exemple, lorsqu’un·e jeune exprime un sentiment passager (comme l’ennui) qui inquiète aussitôt ses parents.

Mais cette instantanéité n’a pas que des effets négatifs. Elle peut aussi permettre à un·e jeune de signaler rapidement une situation de mal-être ou de danger, ou encore d’appeler à l’aide s’il ou elle ne se sent pas en confiance pour en parler directement aux adultes sur place – ou si les adultes sont la source de ce mal être. Certains parents jouent ainsi un rôle de relais, en alertant les équipes sur un problème qu’un·e enfant ne verbalise pas auprès d’elle et eux. Cela complexifie certes le rôle des anims, parfois mis devant le fait accompli, mais cela peut aussi renforcer la vigilance autour de certain·es situations ou de certain·es jeunes et contribuer à leur sécurité.

Le téléphone portable est un défi pédagogique et non technique

Un outil qui trouve peu à peu sa place dans le rythme des séjours

Le téléphone portable ne transforme pas fondamentalement les colonies de vacances, mais il s’y intègre progressivement, en trouvant sa place dans les différents temps du séjour. Au début, lorsqu’aucun lien n’est encore créé, il sert souvent de repère rassurant pour les jeunes, notamment ceux qui vivent mal ce moment d’incertitude. Par la suite, le téléphone accompagne aussi bien les temps collectifs (musique, jeux en réseau, photos et vidéos partagées) que les moments calmes ou personnels, comme lire, regarder une série ou discuter avec ses proches.

Plutôt que d’être en opposition avec l’esprit de la colo, ces usages numériques peuvent s’ajuster à ses rythmes, permettant aux jeunes de créer du lien, de garder des souvenirs, ou simplement de se recentrer sur eux-mêmes à certains moments. Le portable devient alors un outil parmi d’autres, tantôt social, tantôt intime – qu’il convient d’intégrer dans une réflexion pédagogique globale.

lecture sur un téléphone portable en ACM

Le téléphone peut être un outil de transmission culturelle

L’étude de l’INJEP démontre qu’en colonie de vacances, les usages numériques des jeunes restent étroitement liés à leurs pratiques culturelles du quotidien : écouter de la musique, regarder des clips ou des séries, jouer à des jeux vidéo, lire ou encore faire des photos.

Le téléphone portable devient un prolongement naturel de ces habitudes, tout en servant de support d’échange avec les autres. Les préférences musicales ou cinématographiques sont comparées, débattues, partagées, et donnent lieu à une véritable dynamique de transmission culturelle entre jeunes. Une playlist collective de la colo, par exemple, peut mêler rap, variété, métal, électro ou disco, reflétant la diversité des goûts — et des origines — des participant·es.

L’étude souligne que ce partage va bien au-delà du simple divertissement : il permet à chacun·e de découvrir d’autres univers culturels, parfois très éloignés des siens. Dans les colonies où la mixité sociale est présente, ces échanges prennent encore plus de sens. Des jeunes de milieux populaires découvrent des références artistiques ou culturelles qu’ils n’auraient pas rencontrées ailleurs et réciproquement. Il n’est pas rare, par exemple, qu’un·e adolescent·e se mette à regarder une série en version originale sous-titrée parce qu’un camarade lui en a parlé, ou qu’un jeu mobile crée un moment de cohésion et de découverte partagée par des personnes issues de cercles socio-culturels différents. Le portable agit alors comme un lien entre pratiques personnelles et expériences collectives. 

Le téléphone portable est traversé par des enjeux socio-culturels

Derrière l’apparente uniformité des usages numériques des adolescent·es en colonie de vacances, l’enquête révèle une mosaïque de pratiques profondément marquées par des différences d’âge, de genre et de classe sociale. Ces disparités façonnent non seulement la manière dont les jeunes utilisent leur téléphone, mais aussi le sens qu’ils lui donnent.

Le rapport au téléphone portable varie selon l'âge

Les plus jeunes, notamment ceux âgés de 12 à 14 ans, voient dans le téléphone un symbole de leur autonomie naissante. Le simple fait de posséder l’objet — même sans l’utiliser intensément — est perçu comme une preuve de grandir, de sortir de l’enfance. Pour eux, garder leur téléphone sur eux est un marqueur social fort, une manière d’affirmer leur nouveau statut. Les adolescent·es plus âgé·es (15-17 ans), quant à eux, ont un rapport plus fonctionnel à leur portable : ils sont davantage tournés vers les usages que vers l’objet lui-même, qu’ils ont depuis plus longtemps intégré à leur quotidien. Ils savent ce qu’ils en font, pourquoi, et à quoi il leur est utile.

 

Activité manuelle sur une tablette numérique

Le téléphone portable : des pratiques genrées

Les différences de genre sont également très marquées autour de l’usage du smartphone.

Les filles adoptent en majorité un usage relationnel du téléphone : il est un lien vers les amies, un outil d’échange affectif, de maintien du lien, parfois même de réassurance. Cette orientation découle d’une socialisation de genre où l’amitié et la communication émotionnelle tiennent une place centrale. Les garçons, de leur côté, investissent le portable principalement pour des usages ludiques ou performatifs : jeux vidéo, visionnage de vidéos, recherches. Leur rapport au numérique est souvent moins tourné vers la relation aux autres que vers la performance ou le divertissement. Ces différences s’expriment aussi dans la gestion des relations avec les familles : les filles se sentent plus souvent obligées de répondre rapidement aux sollicitations parentales, là où les garçons tendent à différer leurs réponses — au point, parfois, que les animateur·rices doivent leur rappeler de le faire.

Le téléphone portable : des usages de classes

La classe sociale introduit une autre dimension importante dans l’analyse des usages. Si tous les jeunes sont aujourd’hui équipés d’un téléphone, celui-ci n’a pas la même valeur symbolique ni matérielle selon leur origine sociale. Pour les jeunes issu·es de milieux populaires, le portable représente souvent bien plus qu’un simple outil : il est une extension d’eux-mêmes, un repère, un lien vers l’extérieur, un espace d’expression personnelle. Ils en parlent comme d’un « bout d’eux-mêmes », et s’en séparer temporairement peut être vécu comme une perte brutale. À l’inverse, les jeunes des classes moyennes ou supérieures, bien qu’aussi attaché·es à leur téléphone, intègrent plus facilement les discours critiques sur le numérique. Ils et elles expriment une forme de distance : le portable est « utile », mais pas indispensable. Ce rapport plus nuancé est souvent le fruit d’une éducation parentale qui valorise la régulation des usages, avec des règles plus systématiques et un contrôle plus fort du temps passé sur les écrans.

Réguler le téléphone portable : un enjeu dissymétrique

La privation — même partielle — du téléphone en colonie de vacances ne touche pas toustes les jeunes de la même manière. Elle est vécue de façon plus ou moins intense, en fonction du lien que chacun·e entretient avec l’objet, de ce qu’il représente pour lui ou elle, et de la manière dont il a été investi dans sa vie quotidienne. Pour les équipes d’animation, ces écarts doivent être pris en compte dans la régulation des usages : comprendre que le portable n’est pas qu’un outil, mais aussi un marqueur social, affectif et identitaire, permet d’éviter des malentendus et de penser des modalités d’accompagnement plus justes et adaptées.

Animateur téléphone portable
Jeu sur un téléphone portable

Sortir du débat "pour ou contre"

Le smartphone, un outil du collectif ?

L’une des préoccupations majeures des équipes d’animation en colonie de vacances face aux téléphones portables reste la crainte qu’ils ne renforcent l’isolement de certain·es jeunes, notamment en les détournant du groupe ou en leur offrant une échappatoire solitaire. Le refus de participer à certaines activités, l’évitement des temps collectifs ou encore la focalisation excessive sur les écrans sont souvent cités comme des raisons valables pour restreindre les usages individuels. C’est dans cette logique que des règles sont posées, visant à préserver la dynamique de groupe et à encourager l’implication dans la vie collective du séjour.

Mais cette régulation repose parfois sur une perception partielle de la réalité. En effet, les observations de terrain montrent que, loin d’éroder le collectif, les usages numériques peuvent aussi le renforcer. Ils ne sont pas nécessairement en concurrence avec la sociabilité « réelle » des jeunes en colonie, mais s’articulent avec elle de manière fluide et souvent bénéfique. Écouter de la musique ensemble, créer des playlists de la colo, filmer les moments drôles ou mémorables, envoyer des photos à plusieurs ou commenter des stories du séjour sont autant de façons de partager une culture commune, de créer du lien et de « faire groupe ».

La rareté de la connexion 4G ou du wifi renforce même cette solidarité : celle ou celui qui dispose d’un bon forfait devient le relais numérique du groupe, partageant sa connexion ou prêtant son téléphone à un camarade pour appeler ses proches ou envoyer un message. Ce geste de partage est révélateur d’un usage tourné vers l’autre, loin de l’individualisme tant redouté. De même, les jeunes sans smartphone ou en rupture momentanée de batterie ne sont pas laissés pour compte : le téléphone devient un bien circulant, un support collectif.

Ces pratiques rejoignent des constats établis par plusieurs chercheurs et chercheuses (Balleys, Boyd, Pasquier) : les sociabilités numériques et physiques ne s’opposent pas, elles s’enchevêtrent, se prolongent et se nourrissent mutuellement. Une photo prise sur le vif lors d’un grand jeu pourra être postée sur un réseau social, commentée en ligne par d’autres jeunes, puis évoquée et réinterprétée le soir même autour d’un repas ou d’un feu de camp. Ces allers-retours entre l’en-ligne et le hors-ligne sont devenus naturels, intégrés à la manière dont les jeunes interagissent, se construisent et se racontent.

 

Avec lequel il va falloir apprendre à faire pédagogie

Cela dit, les usages numériques ne sont pas neutres : ils peuvent aussi fragiliser les équilibres du groupe, lorsqu’ils servent d’appui à l’exclusion, au harcèlement ou à la mise en scène de rapports de force. Ils peuvent aussi invisibiliser certains jeunes, moins à l’aise avec les codes numériques ou en situation de non-équipement. Mais l’ambivalence du téléphone — outil de cohésion autant que de tension — est précisément ce qui rend son usage digne d’intérêt dans une perspective éducative.

Il ne s’agit donc pas tant de « pour ou contre » le téléphone en colo, que de s’interroger sur les conditions de son usage. La pédagogie de la régulation, la sensibilisation aux usages collectifs, la médiation des conflits numériques et la réflexion éthique autour de la diffusion d’images font désormais partie des enjeux éducatifs des séjours. Plutôt que d’en faire un objet de contrôle strict, les équipes peuvent s’appuyer sur le téléphone comme un terrain d’expérimentation sociale, un vecteur d’apprentissage de la vie collective, et un miroir des enjeux générationnels.

Le téléphone n’est pas en train de transformer les colonies de vacances : il s’y inscrit, tout simplement, parce qu’il fait partie intégrante du monde des jeunes. Les colos ne sont pas hors du monde — elles en sont un reflet, un laboratoire, parfois même un pas de côté salutaire. Il serait dommage de ne pas y intégrer aussi, avec discernement, la culture numérique qui traverse les jeunesses d’aujourd’hui.

Pour aller plus loin

Pour approfondir les conclusions de cette étude, nous vous proposons de visionner la Webconférence autour de l’adolescence en colonies de vacances, organisée par l’INJEP.

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