Cet article sur le modèle colonial est la retranscription d’un texte initialement publié dans le numéro 20 de la revue N’Autre Ecole. Vous pouvez vous le procurer au format papier en librairie, ou directement sur le site de Questions de Classe.
Il approfondit un premier article déjà publié sur notre site, pour en proposer une approche plus académique. Si les articles pédagogiques vous intéressent, n’hésitez pas à consulter notre rubrique dédiée.
Par soucis de cohérence, nous avons choisi de vous le proposer dans son format original – sans lien additionnel et dans un découpage de paragraphe issu du format littéraire – et de fait par moment éloigné de la presse en ligne. N’hésitez pas à commander un tirage papier ou PDF de la revue pour faciliter votre lecture.
A propos du modèle colonial
Le modèle colonial est un concept qui décrit le fonctionnement le plus répandu en colonie de vacances. Le temps et l’espace de l’enfant sont défini et structuré par l’adulte. Le temps et l’espace font l’objet d’un planning précis dans une architecture foucaldienne, dans lequel les enfants vont participer à une activité, dirigé par des adultes (BOCQUET – 2022). La grande majorité des organismes de colonies de vacances utilise ce modèle pour l’organisation de leurs séjours . C’est également ce modèle qui est généralement enseigné en formation. (BOCQUET – 2022, BESSE-PATIN – 2011)
A l’entre deux guerres, l’état français structure peu les différentes formes de séjours. On voit cohabiter une multitude de forme de colonie de vacances. La plupart sont influencées par une pensée urbanistique. Les villes se densifient, les colonies le doivent aussi. (BATAILLE & BACOU – 2012). A cette dynamique de densification des corps dans un espace se mêle une seconde, celle d’une inflation des attentes éducatives qui suit les aspirations de la société. Les CEMEA, organe structurant de l’éducation populaire en France, va participer au developpement de l’éducation nouvelle. De ce mouvement découle la théorie des besoins. Les corps sont observés, controlés, validés. En 1959 leurs ouvrages identifient 3 besoins fondamentaux de l’enfant : amour, sécurité, activité. En 1974 on voit s’additionner le mot « ordre » à ces besoins (HOUSSAYE – 1998), puis « réalisation de soi » dans les années qui suivent (CEMEA – 2012).
Quand HOUSSAYE étudie le modele colonial (1998), il évoque la nécessité d’une déflation éducative. Cet essai est l’occasion de se questionner sur les conséquences de ce modele, la domination adulte et le poids de la marchandisation des séjours.
Un outil disciplinaire
HOUSSAYE écrit “le centre de vacances reste prisonnier de la forme scolaire” (HOUSSAYE – 1998).
L’adulte est central, il est le producteur des contenus. Les activités doivent être justifiées, sont pensées pour être éducatives ( « amenant des savoirs formels ») et la structure de journée est largement imposée. « Les différences entre les activités périscolaires et les activités de l’école relèvent que de variations pédagogiques secondaires » (THIN, 1994) et ce sont par ailleurs les activités dont le format est le plus proche de celui d’un cours qui reçoivent le plus de succès (sports, cours de solfèges, d’échec ou de cuisine, etc). Il est d’ailleurs démontré que ces activités ne sont pas considérées par les enfants et ados comme des loisirs mais comme un investissement de leur temps qui leur sera utile plus tard (BARRERE – 2011, GLEVAREC – 2010).
Si l’on conçoit les vacances comme un lieu de césure pour se ressourcer, le modèle colonial pose question. On peut légitimement se demander pourquoi l’on considère l’adulte comme ayant besoin de prendre des vacances, tout en refusant celles-ci aux enfants et ados ?
L’adulte est central, il est garant des besoins. Dans La domination adulte (2020), BONNARDEL écrit « [nous] ne pouvons pas dire qui, parents, professeurs, conseillers juridique […], sait ce qui est préférable pour un enfant. […] Nul ne peut savoir mieux que l’enfant lui même. Il n’y a pas besoin d’être très âgé ou très intelligent pour distinguer ses amis de ses ennemis, pour sentir [ce qui] vous nuit. » . L’adulte, par sa connaissance de la théorie des besoins, se pose en sachant. De cette posture, l’adulte devient l’arbitre des règles, et le garant des sécurités. Il détermine ce qui est licite ou illicite, de l’application des règles ou des formes de sanction, organise ou non des transgression, décide l’alimentation et l’hygiène, dirige ou impose les tenues vestimentaires, flèche une moralité et une culture légitime. Sur ce dernier point, il est important de mesurer le pouvoir prescriptif/de validation et la puissance des violences symboliques induites par les discours et actions des équipes pédagogiques. En effet, les occupations sont (lorsqu’elles ne sont pas imposées) validées ou non, encouragées ou non, controlées par l’oeil de l’adulte. La culture de l’adulte devient l’élément discriminant des occupations. Un·e enfant jouant à un jeu vidéo, ou écoutant de la musique au casque ne sera pas jugé·e de la même manière qu’un·e autre lisant un livre. Pourtant, le jeu vidéo est-il forcément un média moins éducatif que le roman, si la question éducative est la boussole de toute question ? On observe que le jugement moral d’une situation par l’adulte devient une condition d’existence des occupations des jeunes.
La boum est un exemple au carrefour de ces problématiques que PERRIN documente dans Boum, quand la colo fait boum (2014). Ce moment de toutes les exceptions se fait témoin de la place centrale de l’adulte face aux droits et devoirs des enfants. Pendant le séjour, l’équipe d’animation impose les tenues, ce qui est assez chaud ou assez couvrant . Le soir de la boum, la semi-nudité est pourtant bien souvent acceptée. L’alimentation jusqu’alors controlée, équilibrée, mesurée laisse place, le soir de la boum, aux excès de soda et bonbons. Pendant le séjour une direction peut imposer la non-mixité dans toutes les chambres et le soir de la boum, ingérer dans les histoires interpersonnelle des jeunes et pousser, avec un regard hétéronormé à des jeux, des danses sexualisées, des flirt. La transgression est organisée par l’adulte. Il a le pouvoir de décider qu’une exception peut être permise ou non. La théorie des besoins vient fabriquer un discours justifiant le contrôle des corps et de leurs occupations. Ce même discours, lors de la vie commune dirigée, vient nécessairement construire des violences discriminatoires (hétérosexistes, cissexistes, racistes, grossophobes, etc.). Les activités sont imposées pour des raisons éducatives. Les occupations sont soumises à l’arbitrage des adultes.
Le temps, les levers, les couchers sont imposés, contrôlés par les équipes pédagogiques. Parfois le projet pédagogique enrobe ces principes dans un habillage d’une fausse liberté. DAVID et BESSE-PATIN écrivent à ce sujet dans Pour une critique radicale de l’animation (2013) que : « […] l’expression […] « enfant acteur » n’a aujourd’hui plus aucun sens tant cette expression renvoie à toutes formes d’organisations pédagogiques qui dans la réalité consistent majoritairement à choisir entre football et plâtre comme l’on choisit entre ketchup et mayonnaise au restaurant scolaire. »
La restriction des libertés et la domination adulte lors des séjours ne sont pas à imputer aux équipes directement mais aux systèmes qui les induisent. Les séjours sont traversées des injonctions du contexte qui les permet. La marchandisation des séjours de vacances en tant que produit rentable est un élément majeur dans la fabrique du modèle colonial.
Aujourd’hui, les grands organismes peuvent faire partir jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’enfants sur un été. Ces effectifs ne sont pas sans conséquence sur les relations pédagogiques. La mise à distance des jeunes et des parents par l’informatisation et la massification induit un déplacement des problématiques gérées et des stratégies de vente adoptées par les organismes. Les logiques se rapprochent de celles des industriels. Il y a économie d’échelle et normalisation dans une optique de bénéfices. Les entreprises se développent autour d’un catalogue de séjours à thème basés sur le modèle colonial.
Un outil de vente
Quand le·a parent est client·e d’un service, il est logique de voir arriver le langage de la qualité dans les catalogues des colos (HOUSSAYE – 2010). Labels, charte de qualité et sécurité, garantie catalogue, engagements prestataires sont autant de concepts servant à prouver que le séjour se déroule selon un plan et des objectifs, conformément à des attentes. Le problème étant que l’attention est alors mise sur la forme et la visibilité, plutôt que sur le fond. Ainsi, des organismes forment massivement leurs équipes à la tenue d’un blog plutôt qu’à, par exemple, le care ou les questions de discriminations. Les questions cosmétiques deviennent primordiales. Comment accueillir un parent en gare pour faire bonne figure ? Comment traiter les enfants de tel Comité d’Entreprise ? Quelles photos mettre sur le blog ? Comment coudre la cape de jedi ou souder le robot ? La vente du produit/service devient centrale. Comment vendre et quoi vendre sont sont les deux questions prépondérantes.
Le catalogue devient l’outil de normalisation par excellence. Il est édité par l’organisme, considéré par le parent comme un contrat en cas de litige, il fait donc office de bible pour l’équipe pédagogique une fois sur le terrain. Le catalogue permet quelque chose de puissant. Il permet à des équipes marketing de vendre des services identiques. Il permet à ces équipes de publicitaires de travailler en toute liberté pour vendre sans contraintes pédagogiques . Les équipes pédagogiques aligneront, derrière, leurs projets, puisque le service est déjà vendu, selon des contraintes imposées par les commerciaux.
Le thème est un produit d’appel, il dispense du travail de fond sur les familles. « il vient démontrer que l’équipe ne sera pas inactive, qu’elle travaille, qu’elle a des idées quand le projet pédagogique peut n’être que tristement vide. […] En présentant la semaine à l’aide d’un thème, il s’agit […] de créer une relation avec les parents qui se place sous l’angle de la marchandise. » ( DAVID et BESSE-PATIN – 2013 ) Le choix de la thématisation implique une re-hiérarchisation du contenu sur le contenant. Le·a parent s’intéressera aux activités de leur enfant, pas aux cadres et aux pédagogies adoptées. Le thème génère un emploi du temps. « Venir sur une semaine a thème, c’est […] se voir imposer un planning concocté par les animateur [·ices], plusieurs semaine ou mois avant le début du séjour […]. Le thème vient donc ici […] renforcer le processus de domination de l’adulte sur l’enfant en déniant à l’enfant des désirs, des envies autre que ceux que l’adulte croit connaitre, de la meme manière qu’il croit connaitre ses besoins de manière universel ». De ces croyances, les organismes planifient des objectifs et des projets sur l’action éducative nécessaire pour les atteindre. « On véhicule une illusion fondamentale: [on] pourrait maitriser et contrôler [en amont] le déroulement des événements selon la préparation effectuée […]. On écarte […] les possibilités d’adaptation, […] les considérant comme des écarts au plan. […] Suivre la méthodologie de projet c’est s’empêcher d’accueillir l’autre au-delà de ce que l’on saurait. »
Toute réaction de l’enfant qui ne serait pas anticipée est considérée comme enrayant la machine. L’enfant est l’exécuteur·ice de l’activité commandée et définie par l’adulte. Réciproquement, on lit l’échec d’une situation, comme la responsabilité de l’enfant, et non celle du fonctionnement qui lui est imposé. L’enfant qui pleure de fatigue lors de la veillée de répartition entre les maisons sur un séjour Harry Potter, est perçu·e comme saboteur·se ,même involontaire, de l’expérience commune, plus que comme un corps en souffrance. L’Accueil Collectif de Mineur prolonge la stigmatisation de celles et ceux déjà à la marge, déjà exclu·es de l’institution scolaire. On crée une anticipation sur les besoins « selon des tranches d’âges » basés sur des statistiques, mais décontextualisées de leurs rythmes de vies ou leurs goûts. Ce savoir implique la conformité à un cadre normalisant. On fabrique la journée type adaptée à cet enfant-type idéalisé et factice.
Le catalogue, le thème, la journée type sont profondément incompatibles avec l’existence de diversité. L’animateur·ice doit-iel respecter l’heure du couché collectif pour une adolescente incapable de s’endormir à cause d’un traumatisme personnel concordant avec le moment du coucher. L’équipe doit-elle imposer le rythme induit par son projet pédagogique à un jeune dyspraxique qui s’épuise ? Chaque adolescent·es grandit en temps qu’individu·e à l’intersection de plusieurs groupes sociaux. Nous ne pouvons pas réfléchir aux adolescent·es sans penser à leur unicité. La normalisation ne permet pas de construire un projet éducatif adapté à toustes. Il permet de construire un cadre qui s’adapte à une partie, les « valides », celleux que la société a décidé comme étant « dans la norme ». La norme est généralement déployée autour d’un homme blanc aisé, valide physiquement et psychologiquement, cisgenre et hétérosexuel. La construction des cadres laisse une place centrale à ce groupe hégémonique. Il est aujourd’hui possible en formation BAFA d’entendre parler du jeu de la biscotte mais pas des menstruations. On peut légitimement se demander combien d’animateur·ices ont déja réfléchi à l’accès au toilettes pendant une sortie ou connaissent le temps maximal d’utilisation d’un tampon.
S’il existe de rares tentatives de réfléchir la structure des séjours en dehors du modèle colonial, ce dernier reste très largement majoritaire. Il est un modèle de domination adulte et de reproduction des discriminations. Peu importe la communication qu’un groupe organisateur fera autour de son inclusion : tant que celui-ci ne remet pas en cause la forme de l’accueil, il ne pourra que reproduire un processus de hiérarchisation des individus – et de fait discriminer celleux qui se retrouvent ainsi à la marge (BOURDIEU et PASSERON – 1970).
Face à ce constat et aux enjeux contemporains, on peut naïvement se questionner sur la place des organisateurs et leur volonté, ou non, de se reformer. Plus pragmatiquement, il serait pertinent d’amener la question, trop souvent éloignée, de la famille, de la responsabilité des parents, de leur clientélisme face aux organismes de séjours de vacances.
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